Une étude menée par le Poisson sans Bicyclette, rédigée et coordonnée par Alessandra Vitulli en 2024
Les milieux militants et communautaires, qu’il s’agisse d’associations féministes, de collectifs queer ou, plus généralement, de groupes de gauche, sont souvent décrits et étudiés comme des entités servant la société, nécessaires à la démocratie. Il est moins fréquent d’inverser ce point de vue, de s’intéresser à ce qu’il se passe à l’intérieur et de questionner ce qu’ils produisent sur leurs membres. Parce que ces milieux, lorsqu’on les fréquente, influencent indéniablement nos vies. Pour beaucoup d’entre nous, ils sont même nécessaires à notre équilibre. Si la société en a besoin, nous aussi. Nous y trouvons un lieu d’écoute, de partage entre pairs, de reconnaissance de notre condition commune et même parfois une réponse aux violences que nous avons vécues.
Cette recherche adoptera donc ce point de vue et s’attellera à décrire et comprendre ce qu’il s’y passe, vu de l’intérieur. Plutôt que d’adopter la politique de l’autruche, nous avons choisi d’aborder les questions qui fâchent, littéralement. En effet, bien que l’on puisse les idéaliser, les penser (ou les vouloir) inclusifs, bienveillants, safe, justes, égalitaires, ces espaces, comme tous les endroits où ont lieu des relations entre humain·es, sont traversés par des situations de conflit et de préjudice. Dans ce genre de cas, les collectifs militants se retrouvent confrontés à la responsabilité de répondre à la violence qui peut se déployer en leur sein. Et, bien souvent, formuler cette réponse n’est pas chose aisée. Nous nous sommes donc posé la question suivante : « Comment réagir, en tant que collectif, face à une personne ayant ou ayant eu un comportement oppressif ? »
Bien que cette recherche émane du Poisson sans Bicyclette, elle se veut représentative de toutes les personnes y ayant participé et n’a pas pour but de promouvoir un point de vue unique qui servirait notre association et ses principes. Une multitude d’opinions et de questionnements, parfois contradictoires, y seront relatés. Une diversité de pistes sera évoquée. L’objectif est d’emmener les lecteur·rices à travers un tour d’horizon des réflexions qui ont construit cette recherche. Le Poisson sans Bicyclette n’est pas à l’origine des divers propos rapportés ici et il nous a semblé pertinent de relater toutes les idées que nous estimions importantes pour la réflexion développée dans ces pages, indépendamment de notre adhésion ou non à celles-ci.
Cette recherche se structure autour de plusieurs axes permettant d’analyser la problématique sous différents angles. La première partie, la méthodologie, présente les approches et outils utilisés pour mener l’étude. Le cadre théorique établit les bases conceptuelles nécessaires à la réflexion, en s’appuyant sur des courants comme l’abolitionnisme pénal et la justice transformatrice. Une distinction essentielle est ensuite opérée entre conflits et préjudices, afin de mieux cerner les dynamiques spécifiques qui sous-tendent les violences intra-communautaires. Ce cadre théorique se nourrit également des concepts de pureté militante et de gatekeeping, pour comprendre comment certaines pratiques peuvent limiter l’inclusivité et exacerber des tensions internes. La recherche explore ensuite les pratiques punitives ayant lieu dans les milieux militants, notamment à travers des mécanismes comme le call out et l’exclusion, qui se heurtent souvent aux principes du groupe.
La recherche dresse ensuite une série de constats à partir des échanges ayant eu lieu entre les participant·es, en les confrontant à ceux recensés dans la littérature consultée. Nous examinerons donc les conséquences des pratiques punitives, les schémas de pensées empêchant les collectifs de cultiver les désaccords entre leurs membres, l’influence des intérêts individuels et des rapports de pouvoir sur les dynamiques collectives, ainsi que l’effet de groupe pouvant avoir une influence sur les situations de conflit et de préjudice. L’analyse s’interroge également sur la manière dont ces situations peuvent entraîner des dynamiques d’autodéfense, de vengeance ou de reproduction de la violence.
Nous explorerons ensuite, dans la partie intitulée « mise en débat », les contradictions et les questionnements qui nous ont donné du fil à retordre et qui ont suscité le plus de controverses lors des discussions entre les participant·es. La difficulté à définir ce que sont les comportements oppressifs mentionnés dans la question de recherche en fait par exemple partie. Nous discuterons aussi de la nécessité de la distinction entre faits et ressentis, de l’usage du jargon militant, de l’injonction à la transformation de soi à travers le concept de « déconstruction » et de la binarité des catégories de victime et de coupable. Nous questionnerons ensuite les implications relatives au mot d’ordre omniprésent dans les milieux militants : croire les victimes. Nous verrons ensuite comment la bonne volonté des militant·es peut se heurter à un certain nombre de difficultés lors de la mise en application des principes théoriques qu’on aimerait suivre.
La recherche proposera ensuite quelques pistes en évoquant différentes manières dont un collectif pourrait réagir en cas de « comportement oppressif », de la prévention à l’après. Nous y évoquerons différents temps composant un processus de résolution, incluant des étapes comme l’anticipation, l’identification de la situation, la temporisation et la prise de position. Nous verrons ensuite comment le groupe peut parvenir à résoudre une situation problématique en prenant en charge la victime et l’auteur·rice du préjudice mais aussi en se prenant en charge lui-même. Nous tenterons enfin d’identifier des situations où l’on pourrait avoir besoin de recourir à une aide extérieure ou à la pratique de l’autodéfense, sans oublier d’examiner les limites et l’échec potentiel du processus de résolution.
Recherche intégralement disponible via le lien de téléchargement ci-dessous
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