Les discours d’extrême droite s’articulent autour du nationalisme, de l’obsession pour la sécurité et l’identité nationale, ainsi que d’un racisme décomplexé et d’un conservatisme affirmé (Corcuff, 2021). Dans ce contexte de banalisation de ces idées, le collectif Némésis, fondé en 2019 en France, se revendique « féministe » tout en adoptant des positions identitaires, proches de l’extrême droite. Cette analyse vise à montrer comment Némésis détourne les revendications féministes pour légitimer un discours raciste, xénophobe et islamophobe, en rupture avec les autres luttes féministes.

Analyse rédigée par des bénévoles du poisson sans bicyclette, en juillet 2025

Introduction

Les discours d’extrême-droite ont pour ligne idéologique un attrait pour le nationalisme, des discours racistes, un conservatisme, un libéralisme accru ainsi qu’une focalisation sur l’immigration, la sécurité et l’identité nationale, qu’ils considèrent comme les enjeux primordiaux de la nation (Corcuff, 2021). Alors que certains états ont désormais comme gouvernement, ou membres du gouvernement, des politicien.nes d’extrême droite (Italie, Hongrie, France, Pays-Bas…), dans ces états comme dans d’autres, ces partis politiques tendent à gagner du terrain lors des différentes élections, ainsi que dans l’opinion publique (Corcuff, 2021). Dans ce contexte, de nouveaux acteurs et de nouvelles actrices promouvant ces idées ont émergés, parmi lesquels des femmes qui jouent désormais un rôle clef.

Dans cette analyse, nous nous concentrons ici sur le collectif « féministe » Némésis, nouvel acteur de cette idéologie. Créé en France en octobre 2019 à l’initiative de plusieurs femmes qui estimaient ne pas se reconnaître dans les mouvements féministes contemporains, le collectif se revendique « féministe », et « identitaire ». Il se dit également « apolitique et non partisan », alors même que nombre de ses militantes sont affiliées à des mouvements identitaires, conservateurs voire royalistes (Némésis, n.d). Ainsi, alors que l’extrême droite trouve de plus en plus de terrains de normalisation et de légitimation de son idéologie, nous cherchons ici à montrer à travers le cas du collectif Némésis comment les revendications féministes peuvent être instrumentalisées pour justifier des positions racistes et nationalistes. Nous analyserons dans une première partie les discours et stratégies du collectif afin de montrer que, bien qu’il se définisse avant tout comme féministe, il se démarque amplement des autres luttes féministes. Cela nous permettra d’explorer dans une seconde partie comment le collectif est précisément anti-féministe, et promeut avant tout une idéologie raciste, xénophobe et islamophobe.

Si le concept de fémonationalisme est mobilisé ici, un certain nombre de notions sont également à définir. Le racisme est un processus social complexe et dynamique de racialisation et hiérarchisation appuyé sur un signe d’appartenance (réelle ou supposée) à un groupe socialement minoritaire. Dans cette perspective, l’islamophobie constitue une forme de racisme pour laquelle la racialisation s’appuie sur l’appartenance religieuse (Hajjat, 2024). Le nationalisme est un modèle normatif qui présente une unité ethnique comme la base d’un fonctionnement politique et un processus qui, de fait, tend vers une unification politique au nom d’une culture commune (Gellner, 1989). Pour finir, l’identitarisme est une notion vaste dont nous retenons ici la tendance à figer une identité unique d’un individu ou d’un groupe, en opposition à des identités plurielles, hybrides et processuelles (Corcuff, 2021 ; 2022), et qui mène souvent à considérer que « l’identité de l’autre constitue une menace, c’est considéré que la différence est une menace, seulement parce que c’est une différence » (Diagne, 2024, p.35).

PARTIE 1 : Rhétoriques et stratégies du collectif Némésis

A)   Un discours féministe vide

Le discours féministe de Némésis manque de fondement théorique solide et se limite à une dénonciation des violences faites aux femmes, sans analyse approfondie des causes structurelles de ces violences. Leur manifeste1 se contente de décrire les violences sans proposer de cadre théorique, comme l’indique Alice Cordier, porte-parole du collectif  : «contrairement à beaucoup d’assos féministes, on ne se base pas sur des autrices, des idéologies, des philosophes »2. Leur approche repose sur des chiffres biaisés et des témoignages individuels, sans données sourcées. En effet, ces dernières utilisent les données de l’observatoire de la délinquance pénale ou du ministère de l’intérieur sans contextualiser les contextes d’étude de ces statistiques. Cette approche sensationnaliste est une façade masquant une argumentation vide dénuées de sources scientifiques, ou de témoignages et basée sur l’opposition aux revendications militantes actuelles.

En plus d’être dénué de sources, le discours de Némésis se démarque des autres féminismes. En effet, le collectifs identitaire s’oppose par exemple aux valeurs du Black feminism, ce dernier ayant participé aux fondations des revendications féministes et lier les questions de genre et les questions décoloniales (Beaubatie, 2020) ou encore au féminisme intersectionnel qui quant à lui, suit la trajectoire du Black feminism et est défini par Kimberley Crenshaw comme cherchant à « décrire des formes combinées de domination, en lien avec les dilemmes stratégiques et identitaires de certaines catégories de la population » (Jaunait & Chauvin, 2013, p.286). Dans cette continuité, Chandra Talpade Mohanty (1991) a largement critiqué l’approche occidentale du féminisme, qui tente d’uniformiser les expériences des femmes, et ignorer les spécificités des femmes racisées ou venant des Suds. En somme, ces deux courants féministes tentent donc de mettre en avant la diversité des expériences féminines ainsi que les multiples formes d’oppression (Beaubatie, 2020), ce qui s’oppose aux valeurs de Némesis.

En effet, ces valeurs ne sont pas partagées par les membres de Némesis. Pour donner un exemple, prenons le cas du vécu des femmes transgenres et intersexes. Pour Némésis, c’est une définition biologique de la femme qui fait sens, comme l’affirme Alice Cordier : « la femme, c’est une personne qui a des organes génitaux féminins et qui a la possibilité dès la naissance de pouvoir porter un enfant »3. Cette position exclut les femmes trans* ou intersexes, en se basant uniquement sur une vision binaire du genre et du sexe, ainsi que sur des critères essentialistes. Cette prise de position rappelle le combat du Black feminism. En effet, Bell Hooks demandait déjà il y a plus de 70 ans lors d’un congrès : « Ain’t I a woman ?  »4 afin de dénoncer l’exclusion des revendications des femmes racisées dans la lutte des femmes blanches. Dans la continuité du Black feminism, les femmes transgenres posent donc la question : « ne sommes-nous pas aussi des femmes ? » (Beaubatie, 2020). Le collectif identitaire Némésis leurs répond que non. De plus, la position T.E.R.F5 de Némésis n’est qu’un exemple parmi tous les éléments que le collectif rejette des féminismes contemporains, comme l’écriture inclusive, la PMA et la GPA (Nemesis, n.d). En complémentarité de ce rejet des féminismes mettant en avant la diversité des expériences féminines, le collectif minimise les violences de genre, en se concentrant principalement sur les violences physiques. Il estime que l’égalité entre hommes et femmes a déjà été atteinte et ne reconnaît pas le patriarcat comme un système de domination structurel6

Ainsi, par ces différentes idéologies, le groupe Némésis se définit comme un groupe de « femmes de droite ». Une vision du féminisme identitaire qui à gagné du terrain ces dernières années, notamment avec de nouveaux groupes émergents – les Caryatides, les Antigones,..– mais également avec la diffusion en Europe de ces « nouvelles femmes de droite » (Della Sudda, 2022), et il est donc primordial, dans nos questions sociétales actuelles, de pousser l’analyse de leurs discours et pratiques nationalistes pour ne pas tomber dans leurs interprétations vides et dénuées de fondements.

B)   Stratégies et codes de communication

Malgré ce discours féministe creux, et un nombre d’adhérent.es à relativiser7 les membres de Némesis bénéficient d’un fort succès médiatique. Leurs stratégies de communication reprennent les codes classiques de l’activisme puisqu’elles possèdent un site web, une chaîne YouTube et différents comptes Instagram soignés et très actifs. Elles y partagent leurs « actions coup de poing » ou leurs collages de rue, copiés-collés de la typographie de ceux du collectif NousToutes (voir Annexe 1). L’ADN de leur communication Instagram consiste en des posts quasi quotidiens relatant les faits divers nationaux, qui mettent systématiquement en avant l’origine réelle ou présumée de l’agresseur (voir Annexe 2). Si les individus racisés y sont majoritaires, elles insistent (en théorie) sur la mise en avant d’agresseurs blancs pour justifier le fait qu’elles ne visibilisent pas que les agressions d’« étrangers » ou personnes désignées comme telles.

Annexe 1. Photos de collages issues du post Instagram du 01/10/2024 @collectif.nemes

Annexe 2. Exemple de post Instagram, 03/01/2024 @collectif.nemesis

Elles sont par ailleurs majoritairement soutenues par un public masculin(iste) issu de ce qui est communément appelé la « fachosphère », à savoir les manifestations de l’extrême droite sur internet. Au niveau émique, c’est le terme de « réinfosphère » qui est privilégié, « un mot au fort potentiel normatif pour désigner un discours d’opinion auquel les grands médias n’accordent pas de publicité » (Jammet et Guidi, 2017). Tissu de blogs, sites web, médias, voire même revues de presse autodéclarées, Némésis reprend les codes et le langage issus de ces sphères (Dipode 2021). Elles sont encensées sur des sites ou médias comme TV Libertés, Fdesouche, ou Frontières (anciennement Livre Noir), soutenus par et soutenant des partis politiques comme le Rassemblement National ou Génération identitaire. Cependant, elles donnent également des interviews à des plateformes tel que YouTube ou Instagram, où elles peuvent exposer leur propos sans pour autant être contredites, et parfois même débattre avec d’autres féministes, les légitimant comme un groupe féministe qui serait simplement situé très à droite d’un continuum activiste féministe.

En dehors des sphères internet, leur extrême visibilisation passe par leur présence régulière dans les médias dits mainstream. La porte-parole Alice Cordier a notamment été chroniqueuse pour Touche Pas à Mon Poste (chaîne C8) et Les Grandes Gueules (radio RMC), et est régulièrement présente sur CNews ou encore Europe 1. Cette médiatisation permet à Némésis une visibilisation de leur idéologie raciste et islamophobe, d’autant que ces médias sont déjà porteurs d’une extrême-droitisation de l’information. En effet, les médias dominants ont progressivement permis une « montée en visibilité » de l’extrême droite, en même temps que ces mêmes médias sont devenus eux-même de plus en plus d’extrême-droite, témoignant d’une redéfinition des interdépendances politico-médiatiques (Kaciaf & Klaus, 2024). En effet, rappelons que la grande majorité des médias français sont détenus par quelques milliardaires8, dont les positions idéologiques sont manifestes, et affectent les orientations des chaînes (Cagé & al., 2022).  La fait-diversation de la presse, la racialisation médiatique des faits d’actualités et les logiques médiatiques de stigmatisation déjà à l’œuvre depuis longtemps s’épanouissent davantage à mesure que le champ médiatique se reconfigure. Les médias et les conditions de production de l’information ont joué en ce sens un rôle crucial dans la construction du « problème musulman » (Hajjat & Mohammed, 2016).

L’extrême droite réussit à rendre ses idées hégémoniques et acceptées dans la fenêtre d’Overton et l’omniprésence des discours racistes et islamophobes, répandus par, et dans les médias. À la fois hyper actives sur internet et très présentes à la télévision et la radio, les Némésis comptent parmi les acteur.ice.s participant de cette hégémonie. Ce n’est pas tant pour défendre une idéologie féministe qu’elles occupent les plateaux et antennes, que pour attaquer les entités et acteur.ice.s politiques de gauche, et renforcer une position anti-immigration raciste, sous couvert de lutte féministe. Elles semblent s’apparenter en ce sens à des « influenceuses d’extrême droite », de nouveaux soldats pour l’extrême droite dans la bataille des idées (Corcuff, 2021).

PARTIE 2 : Un antiféminisme raciste et nationaliste

A)   Derrière la rhétorique “féministe” : le racisme et l’islamophobie

Si les membres présentes dans le collectif Némésis excluent de nombreuses femmes de leur lutte, elles portent surtout un discours raciste, xénophobe et islamophobe. En effet, le manifeste de Némésis9 met en évidence sa volonté de s’éloigner d’une « idéologie gauchiste » qui ne défendrait pas les femmes occidentales. Deux de leurs objectifs présentés dans ce manifeste sont les suivants : « Dénoncer l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales afin que ce sujet devienne un débat public » ; « Promouvoir la civilisation européenne, non pas comme ayant réduit les femmes au rôle d’objet, mais comme le berceau de leur épanouissement » (Némésis, n.d).

En outre, si elles pensent que les violences faites aux femmes sont le principal problème sur lequel il faudrait s’attarder, elles ajoutent que les luttes autres féministes omettent de mettre en évidence qui sont les auteurs de ces actes. Les membres de Némésis expliquent que ceux-ci sont principalement l’œuvre d’hommes issus de l’immigration, et que leurs expériences personnelles attestent de cette réalité. Nous voyons ici la façon dont elles ciblent principalement les hommes racisés, se basant principalement sur des critères physiques pour présumer l’origine d’un individu et de là, le qualifier d’étranger.

D’autre part, elles ont mené différentes actions comme celle du 2 septembre 2023 à la braderie de Lille afin de dénoncer « l’insécurité et l’islamisation de cette ville », ou encore le no hijab day durant lequel une vingtaine de militantes vêtues de hijab envahissent l’esplanade du Trocadéro à Paris, dans le 10 but de dénoncer la « prolifération du voile » (voir Annexe 3). À défaut de reconnaître que le voile est profondément polysémique (Seniguer, 2009), elles déclarent que les femmes qui le portent le font sous la contrainte, se font harceler, et qu’il s’agit d’une imposition d’une culture « sur nos propres terres »11 .

Annexe 3. Photo du “Nohijabday”, 13/02/2022 collectif-nemesis.com

De cette façon, Némésis se réapproprie un discours féministe tout en ayant une position antagonique à la doxa militante, comme nous l’avons vu. Ses membres instrumentalisent la lutte pour l’égalité entre les genres, dans le but de diaboliser les hommes non-blancs. Elles utilisent les violences sexistes et sexuelles pour placer les hommes racisés en tant que coupables, desquels elles présument une origine étrangère. Ainsi, cela permet de favoriser une vision négative de l’immigration, vue comme néfaste et mettant les femmes européennes en danger. En liant un agenda nationaliste et une prétendue égalité entre les genres, leurs idées renforcent des idéologies racistes, islamophobes et anti-immigration, et stigmatisent ainsi une partie de la population érigée en tant que coupable.

Dans ce cadre, les valeurs défendues par Némésis se rapprochent plus d’un discours anti-féministe et anti-immigration. Même si elles revendiquent un féminisme identitaire et non politisé, le collectif se rapproche grandement des discours nationalistes. En effet, en défendant une civilisation européenne mise en danger par l’immigration, elles s’inscrivent dans une logique nationaliste et participent à légitimer des ambitions ethno-différentialistes. Némésis prône une défense et une valorisation de l’identité européenne qui se retrouve entachée et menacée par l’arrivée de migrant.e.s dont la culture ne serait pas conforme à celle de l’Occident. Ces dernier.e.s sont vu.e.s comme arriéré.e.s, possédant des coutumes patriarcales et mettant en danger l’égalité de genre présente dans les pays occidentaux. Ainsi, elles ont pour objectif de protéger une égalité de genre rattachée à un Etat, à une origine européenne menacée par un Autre immigré. De ce fait, elles s’opposent activement à l’immigration (Diopode, 2021 ; Della Sudda, 2022).

B)   Instrumentalisation du féminisme : le fémonationalisme

Némésis possède une idéologie qu’on pourrait qualifier d’analogue à celle de l’extrême droite des pays occidentaux. Cependant, il s’avère que les enjeux au niveau (inter)national de ces idées soient plus larges que l’instrumentalisation des questions de genre à des fins anti-migratoire. Sara Farris théorise dans son livre In the name of women (2017) la « formation idéologique » qu’est le fémonationalisme, qui signifie « nationalisme féministe et fémocratique », dont le nom fait écho au fameux « homonationalisme » de Jasbir Puar (2013).

Le rapprochement entre ces deux concepts tient du fait que certains politiques traditionnellement contre les droits des minorités sexuelles (pour l’homonationalisme) et ceux des femmes (pour le fémonationalisme), ont progressivement modifié leur position par intérêt politique. Promouvoir les droits de ces individus leurs permet en effet de se rapprocher des normes idéologiques en termes de droits, tout en promouvant de façon plus efficace leurs politiques racistes nationalistes. Eric Fassin (2006) parle de « nationalisme sexuel » pour décrire ce rapport d’exploitation.

Farris (2017) soutient que trois grands groupes d’acteurs et actrices se côtoient sur l’échiquier national concernant le visions conservatrices sur les femmes et la migration (elle étudie en particulier trois pays européens : l’Italie, la France, et les Pays-Bas) et convergent en une même logique politico-économique ; les partis politiques de droite (et extrême droite), certaines féministes (dont des intellectuelles renommées) et associations dites féministes (comme Némésis), et les personnes prônant le libéralisme économique. Tous vont chercher à diaboliser l’Autre musulman (qui deviendra finalement l’Autre Non-Occidental), qui serait un oppresseur sans précédent tandis que les femmes migrantes seraient, elles, des victimes passives de cet Autre et devraient donc être sauvées, avec l’idée que l’égalité des genres serait nettement plus avancée en Occident. « Les hommes blancs sauvent les femmes brunes des hommes bruns» (Easat-Daas cité dans Spivak, 1988, p.297) écrivait Spivak à propos de l’Inde coloniale, ce qui pourrait s’appliquer à la France contemporaine. L’approche décoloniale nous montre qu’il y a une longue tradition de « dévoilement » des femmes musulmanes, accompagné d’un contrôle des corps de celles-ci ; «Les corps des femmes musulmanes tout au long de la période coloniale et aujourd’hui restent le théâtre de batailles culturelles, idéologiques et imaginaires. » (Easat-Daas, 2024, p.277).

De plus, Farris nous dit également qu’il y a en réalité une motivation économique matérielle à cette campagne anti-islam et anti-immigration (lorsqu’il s’agit de personnes non-occidentales). Celle-ci consiste à (ré)organiser la sphère productive et surtout socialement reproductive, car les femmes migrantes sont recrutées quasi exclusivement dans le domaine du care, pour occuper des emplois en demande criante de main d’œuvre, puisque ceux-ci ne seraient plus occupés par les femmes blanches. Il y a donc cette faux argument de sauver les femmes migrantes de leur statut de victime, alors qu’en réalité elles sont enfermées dans une situation précaire au profit de l’économie de tout un pays.

Ainsi, bien que l’approche de Farris ait fait l’objet de critique, son concept de fémonationalisme aide à comprendre comment Némésis s’inscrit dans un échiquier politique plus vaste au niveau (inter)national, en convergeant non seulement avec l’extrême-droite dans son idéologie mais également avec des acteurs et actrices politiques néolibéraux. En effet, Némésis qui parle au nom des femmes va en réalité, sous couvert de féminisme, porter atteinte aux droits des femmes non blanches en plus de ceux des hommes non blancs, en véhiculant une idéologie raciste et xénophobe qui dépeint ces hommes comme des oppresseurs et ces femmes comme des victimes passives.

Conclusion

Le collectif Némésis semble être un cas illustratif de la montée des discours d’extrême droite en Europe, et du rôle joué par les femmes et « pour » les femmes dans ces derniers. Nous avons vu de quelle façon son discours se démarque des autres féminismes en prônant une définition essentialiste du genre et du sexe, et en réduisant les inégalités de genre aux violences physiques et sexuelles faites aux femmes, notamment par les hommes racisés. En somme, les membres de Némésis ont en réalité des arguments anti-immigration et se rapprochent des discours nationalistes. Elles diabolisent les hommes non-blancs qui sont vus comme une menace pour l’Europe. Les femmes racisées sont, elles, mises dans une position de victimes passives de ces hommes, que les blancs devraient donc sauver.

De plus, nous avons vu comment leurs stratégies de communication leur ont permis d’acquérir une grande visibilisation, propageant ainsi leurs idées. La place qui leur est laissée par l’extrême droitisation des médias mainstream, et l’outil de propagande que constitue les réseaux sociaux, ont permis à ce mouvement de prendre une plus grande ampleur. Ainsi, instrumentalisant la cause féministe et bénéficiant d’une visibilité accrue, Némésis semble être de ces nouveaux acteurs et actrices qui offrent à l’extrême droite de nouveaux terrains de visibilisation d’une idéologie raciste et nationaliste, légitimée et normalisée, sous couvert de luttes progressistes :  ici féministes.

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  1. Lien vers leur manifeste https://www.collectif-nemesis.com/manifeste : ↩︎
  2. Alice Cordier dans l’émission « face aux jeunes » du 04/06/2024 de VL., 3 :01 ↩︎
  3. Alice Cordier dans l’article “Marlène Schiappa vs Alice Cordier : féminisme, osez le débat ! “ de Arthur de Watrigant pour le magazine l’Incorrect le 10/09/2024 ↩︎
  4. En référence au discours de l’Africaine-Américaine Sojourner Truth, prononcé lors de la Convention des femmes d’Akron en mai 1951, devant une assemblée essentiellement composée de femmes blanches. ↩︎
  5. Trans-exclusionary radical feminist ↩︎
  6. Alice Cordier dans l’émission débat « Le Crayon » du 11/06/2021 de CrayonMédia. ↩︎
  7. A titre d’exemple, le compte Instagram de Némésis compte 44 500 followers, tandis que celui de NousToutes en compte 518 000 ↩︎
  8. Le dernier coup de tonnerre en date ne concerne pas directement un média, mais le rachat en novembre 2024 de l’école de journalisme ESJ Paris, par Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Rodolphe Saadé, et le groupe Dassault. ↩︎
  9. https://www.collectif-nemesis.com/manifeste, ↩︎
  10. https://www.collectif-nemesis.com/braderie-lille-2023, ↩︎
  11. https://www.collectif-nemesis.com/no-hijab-day, ↩︎


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