Une analyse rédigée par Ambre, bénévole au Poisson sans bicyclette, en novembre 2024

À l’heure où le changement climatique se fait de plus en plus ressentir sur l’ensemble du globe, on observe qu’il affecte de manière très inégale les populations, certaines étant plus touchées que d’autres. Plusieurs considérations autour des inégalités de genre sont ainsi rédigées dans le sixième rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) (Aguilar, Tan, et Ocampo, 2023). Il est alors aujourd’hui reconnu que les femmes font partie des populations vulnérables qui subissent le plus fortement les conséquences du réchauffement climatique, malgré le fait qu’elles ne soient pas les plus grandes responsables de la dégradation de nos écosystèmes.

L’ensemble des personnes minorisées, groupe social discriminé ou dont l’expérience sera minorée en raison de son genre, de sa culture, de son âge, de son niveau de richesse, etc., souffrent de cette plus grande vulnérabilité face au changement climatique. Cette vulnérabilité, soit cette situation de faiblesse qui menace leur intégrité, est très souvent corrélée à leur situation socio-économique qui les fragilise d’autant plus. Pour une analyse exhaustive, il serait ainsi juste de croiser les dimensions de genre aux dimensions de race, de validisme, ou autre critère de minorisation. Cependant, cette analyse doit se limiter à présenter cette inégalité selon un angle binaire — la situation des “femmes” (c’est-à-dire l’ensemble des personnes sexisées ou ensemble des personnes discriminées en raison de leur genre réel ou supposé) par rapport à celle des “hommes” — du fait de la structure binaire des statistiques sur lesquelles elle s’appuie.  

Cette inégalité structurelle face au changement climatique est la conséquence de multiples systèmes oppressifs (patriarcat, capitalisme, racisme), qui se renforcent mutuellement et accroissent la vulnérabilité des femmes. Elle s’observe sur l’ensemble du monde, particulièrement dans certains secteurs, comme ceux de l’agriculture ou de la santé, et sur certains continents tels que l’Asie ou l’Afrique. C’est pourquoi les chercheur·euses comme celleux du GIEC ou les organisations non gouvernementales alertent sur cette inégalité structurelle de genre en concentrant leurs exemples sur les pays aux économies les plus faibles donc les moins résilients au dérèglement climatique. Cependant, on peut déjà également observer ces inégalités à l’œuvre face au changement climatique dans nos sociétés occidentales, comme en Belgique. 

Une vulnérabilité liée à la précarité

Les femmes belges sont plus vulnérables au changement climatique et ses conséquences car elles sont dans des situations plus précaires que les hommes. Cette précarité se retrouve sous plusieurs formes, qui interagissent entre elles. 

La précarité financière des femmes est une des plus visibles, de par ses nombreuses causes. Les femmes sont majoritaires dans les emplois à temps partiel (40.2% des femmes salariées contre 12.1% des hommes), ont plus fréquemment des interruptions de carrière, subissent des inégalités salariales (elles gagnent en moyenne 5% de moins que les hommes) (Statbel, 2024) : leurs revenus sont donc plus faibles et leur situation financière plus dépendante de celle d’autrui (principalement de leur compagnon), ce qui accroît leur vulnérabilité. Par exemple, pour les personnes résidentes en Belgique de nationalité non-européenne, le taux de pauvreté est de 71% pour les femmes alors qu’il est de 34% pour les hommes (Angela. D, s.d.). Par ailleurs, les familles monoparentales belges — 11.3% des ménages en Belgique en 2021 (Statbel, 2024) — ont majoritairement un parent femme à leur tête et sont également les ménages les plus vulnérables à la pauvreté, une autre situation de vulnérabilité. À titre d’exemple, 86.07% des familles monoparentales à Bruxelles en 2020 avaient une femme à leur tête (Parent Solo, 2021). 

Du fait de leur précarité financière et de leur genre, les femmes rencontrent plus de difficultés lorsqu’il s’agit de se loger. En effet, 25.5% des logements mis en location ont une propriétaire femme contre 61.2% des logements qui ont un propriétaire homme (Observatoire belge des inégalités, 2023). Disposant de moindres moyens financiers, les ménages les plus modestes sont plus souvent locataires que propriétaires et dans des logements plus souvent de mauvaise qualité — problèmes d’humidité, de chauffage, d’obscurité, de surpeuplement —, ce qui présente de grands risques pour leur santé. Ce sont également souvent ces mêmes logements qui subissent le plus les catastrophes naturelles, comme des inondations, exposant ainsi encore plus les femmes à ces risques. 

Une autre précarité liée à l’aspect financier et qui ne cesse de s’accroître est celle de la précarité énergétique1. En Belgique, en 2022, 37.4% des familles monoparentales — dans lesquelles les femmes sont surreprésentées — étaient en précarité énergétique, un chiffre en grande augmentation depuis 2021 (puisqu’il était de 24.8%) (Fondation Roi Baudouin, 2024, p.4). Si une grande partie des politiques de lutte contre le changement climatique a pour objectif la transformation du secteur de l’énergie, cette transformation a souvent notamment pour conséquence la montée des prix de l’énergie, un budget important pour les ménages les plus pauvres, en grande partie constitués de femmes. De plus, ces politiques peuvent également conduire à une répercussion des nouveaux prix de l’énergie sur les loyers, qui augmentent alors, ce qui rend difficile le maintien dans le logement des ménages les plus précaires ou l’accès à un logement digne pour ces mêmes ménages. La plus grande vulnérabilité des femmes face au risque environnemental se joue donc également face aux stratégies politiques mises en œuvre pour y faire face. 

Ainsi, les femmes disposent de moins de ressources financières et subissent en plus grande proportion la pauvreté. Elles sont donc plus vulnérables aux conséquences du changement climatique mais aussi des politiques pour lutter contre, de par leur situation plus précaire que celle des hommes : leur exposition aux risques et dangers est plus importante et leurs capacités d’action et d’adaptation est réduite du fait d’un accès plus limité aux ressources qui leur permettrait de s’adapter au changement climatique.

Une vulnérabilité accrue lors d’événements climatiques soudains et situations de crise

La vulnérabilité des femmes s’observe plus fortement lors de catastrophes naturelles et de crises. Elles sont d’autant plus victimes qu’elles font partie des ménages les plus pauvres, donc les premiers et les plus sévèrement touchés lors de ces catastrophes soudaines (Oxfam Belgique, s.d.). C’est par exemple le cas lors d’inondations, comme celles de juillet 2021 en Belgique qui ont plus particulièrement affecté les foyers les plus pauvres. Elles sont également plus soumises aux violences sexistes et sexuelles qui augmentent lors de ces catastrophes et situations de crises. À titre d’exemple, au début de la pandémie de Covid-19 au printemps 2020, les mesures prises pour instaurer un confinement n’ont pas pris en compte la situation des femmes victimes de violences conjugales, ces dernières ne faisant donc qu’augmenter lors de cette période (La Libre.be, 2021), rendant les femmes toujours plus vulnérables dans les situations de crise. 

Par ailleurs, on sait qu’au sein des ménages, les femmes ont au quotidien une charge mentale plus importante que celle des hommes : dans les tâches domestiques, dans la gestion du foyer ou des enfants lorsqu’il y en a (Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, 2020). Cette charge mentale est un grand facteur de stress voire d’anxiété, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour la santé. Or, dans des situations de catastrophes, on observe un accroissement de la charge mentale des femmes : c’est souvent elles sur qui les autres s’appuient émotionnellement, qui vont se charger des procédures administratives, qui vont veiller à maintenir le lien social en allant prendre soin des autres victimes (WomenWatch, s. d.). Toutes ces actions peuvent participer à un accroissement de stress, et donc à la dégradation de leur santé mentale puis physique plus largement.  

Une vulnérabilité difficile à réduire car peu visible

Cette lutte contre la plus grande vulnérabilité des femmes au changement climatique est cependant peu audible, à cause d’inégalités de représentation.

Majoritaires dans le secteur des métiers du “social” ou de l’associatif, plus nombreuses que les hommes au sein du secteur agricole à promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement (Oxfam France, 2023), les femmes belges disposent d’un grand nombre de compétences, de savoirs et de connaissances théoriques très précieux pour lutter contre le réchauffement climatique. Leur expérience au niveau local est en effet un atout pour l’adaptation aux changements du climat dans les prochaines années (Mavisakalyan & Tarverdi, 2019). Par ailleurs, ces derniers temps, les pays occidentaux ont assisté au développement de mouvements pour le climat avec une grande majorité de femmes comme visages et porte-parole, comme la militante Adélaïde Charlier en Belgique.

Or, dans le même temps, les femmes restent moins présentes dans les institutions politiques et instances de décision. Elles sont, à titre d’exemples, 38.75% des député·es européen·nes — un chiffre plus faible qu’avant à la suite des dernières élections européennes de juin 2024 (Marques da Silva, 2024) — 42.7% des député·es belges (Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, 2024). En outre, quand elles sont présentes dans ces espaces, elles prennent moins la parole et pendant moins longtemps. Il est donc encore difficile de rendre visible leur point de vue et les inégalités qu’elles subissent. De plus, quand elles rendent ces problématiques visibles, se présente le risque que leur discours soit invisibilisé, sous prétexte d’être trop “limitant” dans sa population visée. Le discours peut également être déformé pour que la responsabilité de “sauver la planète” — accompagnée de la charge mentale qu’elle représente — incombe aux femmes.

Et maintenant ? Face à ces constats, des voix s’élèvent. En témoignent particulièrement les différents mouvements écoféministes dont il existe différents courants mais dont l’idée principale et commune est que l’oppression des femmes est liée à l’exploitation de la nature (Mathot, 2021). La lutte féministe, comme lutte sociale, rejoint alors la lutte écologique. Ce lien est particulièrement nécessaire puisque, comme cette analyse l’illustre, les systèmes oppressifs (capitalisme, patriarcat, racisme) ont créé et maintiennent les inégalités face au réchauffement climatique que subissent les femmes, en aggravant la situation socio-économique de ces dernières. La lutte pour la justice climatique ne peut donc se faire sans lutte pour la justice sociale. C’est ce que résume ce mot de Chico Mendes, militant syndicaliste brésilien « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ». Pour compléter cette analyse, après avoir opposé le groupe social des “hommes” face à celui des “femmes”, il apparaît alors essentiel d’analyser l’expérience face au changement climatique d’autres groupes minorisés et l’intersectionnalité de l’appartenance à plusieurs groupes sociaux minorés. 

Ainsi, si les derniers rapports et discours des organisations non gouvernementales mettent en lumière le besoin de l’égalité de genre afin de limiter les conséquences du changement climatique (Bureau du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, 2019), cette nécessité et les actions menées pour y répondre doivent être rendues plus visibles, en Belgique comme dans le reste du monde. De manière plus générale, le besoin de justice sociale pour la justice climatique doit être mis en plus grande évidence.

Bibliographie

Aguilar, L., Tan, R. C. et Ocampo, J. (2023) Gender considerations in the IPCC Sixth Assessment Report (AR6) (Considérations de genre dans le sixième rapport d’évaluation du GIEC). IUCN. https://genderandenvironment.org/fr/gender-considerations-in-the-ipcc-sixth-assessment-report-ar6

Angela. D. (s.d.). Une approche féministe du logement. Guide pratiquehttps://angela-d.be/fr/guide.html

Fondation Roi Baudouin. (2024). Baromètre de la précarité énergétique 2024. Consulté 2 septembre 2024, à l’adresse https://kbs-frb.be/fr/barometre-de-la-precarite-energetique-2024

Bureau du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. (2019). Étude analytique sur une action climatique tenant compte des questions de genre et axée sur l’exercice plein et effectif des droits des femmes. Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. https://digitallibrary.un.org/record/3807177?ln=en&v=pdf 

Huybrechs et al. (2011). État des lieux de la précarité énergétique en Belgique. UA-OASeS/ULB-CEESE.   http://dev.ulb.ac.be/ceese/CEESE/documents/Energiearmoede%20finaal%20rapport%20FR%20tweede%20editie.pdf    

Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. (2020). Femmes et hommes en Belgique. Statistiques et indicateurs de genre. Troisième éditionhttps://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/femmes_et_hommes_en_belgique_statistiques_et_indicateurs_de_genre_troisieme_edition

Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. (2024). Chiffres : Présence des femmes au sein des institutions politiques législatives et exécutives belges. Consulté 7 septembre 2024, à l’adresse https://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/politique/chiffres

La Libre.be. (24 février 2021). Après un an de confinement, « les victimes de violences conjugales ne voient plus du tout d’issue ». La Libre.be. Consulté 2 septembre 2024, à l’adresse https://www.lalibre.be/belgique/societe/2021/02/24/apres-un-an-de-confinement-les-victimes-de-violences-conjugales-ne-voient-plus-du-tout-dissue-UYZEHLHI6FEOBAVYW4UB6MDAMM

Marques da Silva, I. (12 juillet 2024). Moins de femmes au Parlement européen, une première depuis 45 ans. euronews. Consulté 2 septembre 2024, à l’adresse https://fr.euronews.com/my-europe/2024/07/12/le-pourcentage-de-femmes-au-parlement-europeen-a-baisse-pour-la-premiere-fois-en-45-ans

Mathot, M-L. (09 novembre 2021). Genre et climat, même combat ? Comment l’éthique du « care » et l’écoféminisme peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique. RTBF. Consulté 24 septembre 2024, à l’adresse https://www.rtbf.be/article/genre-et-climat-meme-combat-comment-l-ethique-du-care-et-l-ecofeminisme-peuvent-contribuer-a-la-lutte-contre-le-changement-climatique-10872844

Mavisakalyan, A., & Tarverdi, Y. (2019). Gender and climate change : Do female parliamentarians make difference? European Journal of Political Economy, 56, 151‑164. https://doi.org/10.1016/j.ejpoleco.2018.08.001 

Observatoire belge des inégalités. (2023). Qui sont les bailleurs en Belgique ? Observatoire belge des inégalités. https://inegalites.be/Qui-sont-les-bailleurs-en-Belgique 

Oxfam Belgique. (s. d.). Une approche féministe et intersectionnelle de la justice climatique. Oxfambelgique.be. Consulté 30 août 2024, à l’adresse https://oxfambelgique.be/une-approche-feministe-et-intersectionnelle-de-la-justice-climatique

Oxfam France. (2023). Agriculture : les inégalités sont dans le pré. Oxfam France. https://www.oxfamfrance.org/rapports/agriculture-les-inegalites-sont-dans-le-pre/ 

Parent Solo. (2021). Plan bruxellois de soutien aux familles monoparentales. Parent Solo. https://parentsolo.brussels/storage/pdf/Plan_Monoparentalite_2021.pdf  

Statbel. (2024). Le travail à temps partiel. Consulté le 8  septembre 2024 à l’adresse : https://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/marche-du-travail/le-travail-temps-partiel 

Statbel. (2024). Écart salarial. Consulté le 8  septembre 2024 à l’adresse :  https://statbel.fgov.be/fr/themes/emploi-formation/salaires-et-cout-de-la-main-doeuvre/ecart-salarial

Statbel (2024). Ménages. Consulté le 8  septembre 2024 à l’adresse : https://statbel.fgov.be/fr/themes/census/menages-et-noyaux/menages 

WomenWatch. (s. d.). Women, gender equality and climate change. WomenWatch. Consulté 5 septembre 2024, à l’adresse https://www.un.org/womenwatch/feature/climate_change/

  1. « La précarité énergétique fait référence à une situation dans laquelle une personne ou un ménage rencontre des difficultés particulières dans son logement à satisfaire ses besoins élémentaires en énergie. » (Huybrechs et al., 2011) ↩︎

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